Dans les profondeurs de la Mer de Glace
Pour changer un peu du calcaire, des amis proposent une expédition dans les moulins de la Mer de glace. Ce sont les cavités creusées par les cours d’eau dans le glacier du Mont Blanc.
Rendez-vous aux Praz de Chamonix pour démarrer l’aventure, accompagné d’une douzaine de spéléo.
La marche d’approche
Sur les conseils « voyagez léger », la plupart abandonnent tente, tapis de sol et sac de couchage aux voitures : des matelas et couvertures nous attendent au refuge. Par souci de sécurité (ou bon sens?) je garde de quoi bivouaquer dans mon sac : tapis gonflable, duvet et sursac étanche, réchaud.
Nous débutons par une randonnée de deux bonnes heures, car le Train du Montenvers est HS pendant un mois pour l’entretien annuel. BIM ! +500m de dénivelé qui auraient pu être évités facilement, mais non, on est des oufs nous !
Arrivée au glacier
En haut, surprise : le glacier n’est pas blanc. D’ailleurs, on ne voit quasiment pas de glace. Mais elle est bien là, cachée sous des amas rocheux. On chausse les crampons et on pénètre par la sortie du collecteur, à l’extrémité basse du glacier. C’est beau, c’est blanc, c’est fun. On progresse facilement et on ressort 100 mètres plus haut. Minuscule mise en jambe, mais sympa quand même.
La suite se fait en surface, pour rejoindre l’entrée des moulins plus haut. On garde les crampons et on s’encorde pour éviter les glissades, même si le terrain « mixte » est composé à 90% de rocher.
Au bout d’une heure environ, ma cordée atteint un des moulins du bas. La cordée qui nous précède a déjà équipé l’entrée du trou. On pose les sacs de rando et on descend dans le large puits d’entrée.
Descente dans le moulin
Les amarrages sont faits sur des broches à glaces, et malgré en avoir déjà utilisé, j’ai un peu d’appréhension à me suspendre dessus. La descente en rappel avec les crampons déstabilise un peu au début, et on s’y fait très vite.
Au fond, on poursuit dans un méandre qui nous emmène au coeur du glacier. Le décor est magnifique, un ruisseau coule à nos pieds, les parois transparentes reflètent et diffusent la lumière des lampes frontales d’une manière féerique.
Lorsqu’il faut faire des pauses le temps de mettre en place les cordes, j’évite de m’asseoir ou de m’appuyer sur les parois: je reste accroupi sur mes crampons pour m’isoler du froid.
Pour l’équipement, pas besoin de se casser la tête à chercher les broches ou bien les spits en place: on visse les broches a glace là où ça nous arrange, pour peu que la glace semble solide. On peut même faire des lunules, ce sont des trous débouchant, dans lesquels on fait passer la corde. Je profite de la ballade pour faire quelques photos, c’est pas évident : impossible d’utiliser le flash à cause de l’humidité qui règne ici.
Au bout d’environ 200 ou 300 mètres, et approximativement à 40 mètres sous la surface du glacier, nous décidons de faire demi-tour. Cette exploration dont les chiffres peuvent paraître ridicules nous aura pris 4 heures.
Direction le refuge
Une fois à la surface et le matériel remis dans les sacs, on se dirige vers le refuge. La nuit tombe dans 3/4 d’heure, et le refuge se trouve à 2 heures de marche.
On va marcher de nuit en montagne, c’est mal barré, il faudra trouver le balisage à la frontale.
On remonte sur le glacier, et plus on monte, moins il est couvert de débris rocheux. Un glacier blanc, ça a quand même plus de gueule.
Après une courte marche, on quitte le glacier pour s’engager sur les échelles de l’Envers.
200 mètres de grimpe, sur échelles, marchepieds et mains courantes. Mais sans véritable ligne de vie. La nuit tombe dès la deuxième échelle, on sort la frontale et on monte tant bien que mal avec les sacs sur le dos. Arrivés en haut, je suis bien cassé. J’ai envie de m’arrêter là et de bivouaquer sur place. Ça m’évitera une montée et descente inutile. Je me résigne à suivre le groupe dans la nuit, et notre colonne s’allonge de plus en plus, jusqu’à ne plus apercevoir les lumières de ceux en tête.
La fatigue
Le chemin est bien tracé et le balisage clair, mais les jambes ont du mal à suivre. Au bout de deux heures, ceux qui sont déjà venus m’annoncent que le gite est encore à une heure de marche, mais à leur ton peiné, je pressens que ce sera peut-être un peu plus long.
Quelle idée de construire un refuge si haut, en plus y’a rien de plat pour se poser, si je bivouac, c’est forcément au milieu du sentier.
Trop de fatigue, j’hésite entre m’arrêter faire un repas chaud ou attendre d’être au refuge. Trop de questions, les jambes qui suivent plus. Je me retrouve dernier, à accompagner un aventurier autant en galère que moi.
Les pauses se font toujours plus fréquentes et plus longues. Bientôt, on s’assoit tous les 100 mètres pour souffler. Les faisceaux des lampes frontales continuent de consteller la montagne au loin. Mauvais signe, ceux devant nous ne sont pas encore arrivés.
Enfin, une lumière qui clignote bien plus haut, et une voix qui crie « Courage, c’est ici le refuge! ». Ça a l’air si proche.
On continue de se traîner, ça monte, et c’est toujours plus loin, on a dû le passer, c’est pas logique. Les lampes devant nous marchent encore. Je crois que je vais dormir là, je ne sais pas s’il reste encore une heure ou 5 minutes.
Le refuge et derrière nous, on l’a dépassé. C’est normal. Il faut aussi monter plus haut que le refuge, puis revenir en arrière, et redescendre par une fucking échelle pour arriver à destination. Épuisé, c’est avec une lampe faiblarde et le nuage qui s’abat sur moi que j’arrive enfin.
Je suis dedans. Je suis vivant. Je me suis rien cassé et je ne suis pas tombé dans le vide. Le bonheur commence.
Au refuge
Ayant fait scission sur la bouffe collective pour ne pas porter de bocaux en verre de bouffe en quantité surévaluée, de citrons verts pour les cocktails et autres débilités à éviter en rando, je donne les 4 pamplemousses que j’ai gentiment portés. Je sors mon repas : fruit secs, et sachet de poulet au curry lyophilisé. C’est ultra léger, et avec l’eau du ruisseau bouillie, ça fait un repas en 3 minutes ! Le top : pas besoin d’assiette, on peut manger dans le sachet.
Ensuite, direct au dodo! Par chance, les 12 matelas et couvertures de gite sont disponibles. On est quand même trop nombreux, donc je m’installe dans le couloir avec mon matos de bivouac. J’y serai plus tranquille à l’abri des ronflements.
Réveil en forme, petit déj’ et on sort du refuge pour admirer la Mer de Glace ! Magnifique, c’est fou ce qu’on rate en marchant de nuit.
Marche retour
Direction la vallée, pas le temps ni l’énergie de refaire un moulin aujourd’hui. Certains iront quand même pendant qu’on descend tranquillement la montagne en voyant marmottes et chamois. C’est plus facile dans ce sens-là.
Arrivés aux échelles, je me rends compte de l’ampleur des risques que nous avons pris hier. C’est vertigineux. Certains ont tracé et sont déjà en bas, on les voit d’en haut, ils sont minuscules.
C’est parti pour la descente, un peu moins en confiance qu’hier à cause de la vue sur le vide. On s’arrête plusieurs fois pour faire des photos.
En bas des échelles, on prend pied sur le glacier. On se sépare en deux groupes : ceux qui redescendent directement, et ceux qui refont une exploration dans les moulins.
Je redescends, car la route est encore longue. On reprend la marche sur le glacier, c’est vraiment beau tout ce blanc.
Une pause pique-nique rapide, et nous arrivons sur le bas du glacier, couvert d’éboulis rocheux. On doit fait un effort pour s’orienter et trouver le chemin le plus facile. Au passage, on se fait survoler par un hélicoptère du PGHM (Gendarmerie). Il repassera dans l’autre sens 10 minutes plus tard, augurant d’une mauvaise nouvelles pour nos amis présents sur le glacier. On s’inquiète, puis en l’absence de réponse au téléphone, on se convainc qu’il s’agit d’une blessure légère, et nous reprenons notre route.
Sur la partie finale, nous devons rechausser les crampons, afin de descendre une partie raide et glacée, recouverte seulement d’une fine couche de gravier (juste ce qu’il faut pour piéger les plus naïfs d’entre nous).
Sortie du glacier, et l’aventure est terminée pour nous.
Epilogue
L’intervention de l’hélicoptère était bien pour le reste de notre équipe, restée plus haut à explorer un deuxième moulin.
Descendu en rappel dans un puits d’environ 50 mètres de profondeur, un spéléo s’est pris une pierre sur la tête, qui avait glissée depuis la surface. Perte de conscience et chute dans l’eau, il a eu la vie sauve grâce à son casque, et aux réflexes de ses équipiers, qui lui ont immédiatement jeté une corde. L’eau glaciale l’ayant réveillé instantanément, il s’est agrippé à la corde à l’aide de ses bloqueurs.
S’ensuit un hissage, puis un hélitreuillage depuis le fond du puits, et une fin heureuse à l’hôpital, avec seulement quelques points de suture.
Impressionnant, comme souvent !?!
Super article, ça devait être vraiment éprouvant !
Merci Bast, quand est-ce que t’organises une sortie kayak en mode « Délivrance » pour qu’on ait plein de trucs à raconter ? 😉